Mardi 15 avril 2008. Cela fait plus d'une semaine que je suis en Palestine occupée, en voyage d'Etat musical, pour le compte du Ministère des Affaires Populaires.
Il est exactement 4h56, heure locale. Je suis allongé sur le lit d'une chambre d'hôtel à Gaza. Dehors, une voix résonne : le Muezzin appelle à la prière de l'aube. Mais, ce n'est pas cette voix qui m'a réveillée. Cela fait presque une heure que je n'arrive pas à trouver le sommeil.
Peut-être qu'au fond, j'ai peur de fermer les yeux. Peur de fermer les yeux sur tout ce que j'ai pu voir et vivre depuis que je suis ici. Peur de me laisser « endormir » ; peur d'oublier ; Peur de passer à autre chose. J'attends, rêvant les yeux ouverts, qu'un jour nouveau se lève sur Gaza…
« Je te parle de ce jour dont nous avons tant rêvé.
Je te parle de ce jour que nous avons tant attendu.
Je te parle de jour pour lequel nous nous sommes tant battus.
Je te parle de ce jour nouveau qui bientôt va se lever.
Combien de bombes ont-ils fait pleuvoir sur nos têtes ?
Combien de fois ont-ils cru que leurs balles nous feraient tomber ?
Ne comprennent-ils pas que nous ne mettrons pas genou à terre !?
Ne comprennent-ils pas que nous ne plierons jamais !?
Aucun mur, aucun barrage, aucun check point, ne sauraient nous arrêter !
Une terre, un peuple, un destin : sur la Palestine, un jour nouveau va se lever. »
MAP - nhar jdid ( un jour nouveau ) - 2008
Ce n'est pas la puissance militaire qui fait la grandeur d'un peuple. La grandeur d'un peuple se mesure à la force de ses rêves, et à son obstination à y croire, encore et toujours. N'en déplaît à « l'implacable réalité ».
Pour un palestinien vivant ici, cette « implacable réalité » ressemble à une voie sans issue ; étroite ruelle ; cours de prison, couloir à ciel ouvert, encadré par un mur lamentable, honteux. Un mur que j'ai vu et revu avec toujours la même envie de vomir. En haut des miradors, des soldats vous guettent. Dans le ciel, des oiseaux de fer feront feu ce soir, ou demain, ou, au plus tard, dans une semaine*. Et, comme si cela ne suffisait pas, loin derrière ces murs, de l'autre côté de l'Atlantique, l'Oncle Sam, l'hyper puissance, le shérif planétaire, veille aux intérêts de ses amis.
Est-il utile de parler des instances internationales qui ferment les yeux, faisant semblant de ne pas voir, de ne pas savoir. Ce n'est malheureusement pas un scoop : dans notre monde « moderne », peu importe qui a raison, qui a tort. Les indignations relatives aux droits de l'Homme, elles aussi, obéissent à la raison du plus fort. C'est la loi de la « jungle mondialisée ».
Si on voulait être lucide, réaliste, on se dirait qu'il n'y a pas d'issue ; que l'équation devant mener à la libération de la Palestine est « insoluble ». Et pourtant…
Et pourtant, il arrive que l'aspiration de tout un peuple à recouvrer sa liberté vienne à bout des armées les plus puissantes. L'Histoire est ainsi faite, les exemples sont légions. On pourrait, bien sûr, méditer sur la légende biblique de « David contre Goliath », ou encore celle de Moïse et de son peuple face au puissant Pharaon… Mais, bien plus récemment et, de manière bien moins « ésotérique », rappelons nous l'Algérie, le Vietnam, l' Ethiopie…
J'ai vu les Palestiniens, j'ai vu leurs regards, j'ai vu qu'ils avaient cette force, cette foi en eux, cette certitude qu'ils ne plieront jamais. Je les ai vus « grands », je les ai vus debout, quand combien d'autres seraient à terre depuis bien longtemps. Je les ai aimés, je les ai admirés. Aussi, j'ai aimé et admiré tous ceux qui, parmi eux, se battent au quotidien pour que la Palestine continue à vivre et à rêver :
Nos amis de l'école de musique d'Al Kamandjâti (le violoniste), par exemple, eux qui font résonner les notes de musique dans tout le pays, et bien au-delà. Eux, grâce à qui la Palestine rayonne de tous ces sourires d'enfants musiciens. Ces enfants des camps de réfugiés, les yeux comme des soleils, pleins de vie et d'envie.
J'ai aimé ces artistes : musiciens, peintres, photographes… Ces militants associatifs ; ces journalistes… Ce foisonnement culturel, cette conscience politique, cette jeunesse et plus largement, ce peuple, Révolté mais aussi débordant d'Amour, de Rêves, et d'Espoirs. Ainsi est la Palestine ! Et quiconque viendra ici, pourra le constater par lui-même. Loin, très loin, à l'opposé même, de l'image souvent véhiculée en France.
Quoi qu'il en soit, pour moi, ça ne fait aucun doute, un jour nouveau va bientôt se lever. Il ne peut pas en être autrement. Pour parler ainsi, je dois certainement être un de ces pauvres « marginaux utopistes » qui pensent que nos rêves peuvent être la plus dangereuse des armes.
Martin Luther King a été assassiné parce qu'il « avait fait un rêve » ; lui, le pacifiste était un homme dangereux, parce qu'il savait que les rêves pouvaient renverser bien plus que des montagnes. Il est mort, et aujourd'hui, près de quarante après, les Américains semblent disposés à élire à leur tête, un homme de « couleur », un « métisse » plus précisément. De toute évidence, « Ils » ont tué Martin Luther King, mais pas son rêve.
« (…) Je rêve qu'un jour cette nation se lèvera et vivra la vraie signification de son credo. Nous tenons cette vérité comme évidente, tous les hommes sont égaux (…) »
Martin Luther King
Gandhi aussi a été assassiné, parmi tant d'autres guerriers pacifistes. Le rêve et l'utopie sont dangereux, oui. Parce qu'ils sont hautement contagieux. Alors, soit ! que la contagion nous gagne ! Soyons, des centaines, des milliers, des millions de pauvres fous utopistes à partager les mêmes rêves ; à partager les mêmes combats… Pour une même vision du monde et de l'humanité.
Soyons des millions de palestiniens ; soyons des millions de sans papiers ; des millions de SDF ; entre autres « victimes collatérales » de cette jungle mondialisée.
« on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus les trottoirs de Paris, de Manille, ou d'Alger pour apprendre à marcher », chante Maxime Le Forestier.
Mais on choisit bel et bien les gens que l'on aime ; ces gens dont on se sent proches, ces gens aux côtés de qui l'on veut se battre, ces gens avec qui l'on partage Révoltes, Amour, Rêve, et Espoir.
Hk - Musicien Altermondialiste Palestinien
*Le mercredi 16 mai, lendemain du concert de MAP à GAZA, un bombardement de l'armée israélienne sur Gaza tuait neuf civils dont deux enfants et un journaliste palestinien travaillant pour l'agence de presse internationale REUTERS.